Communiqué de la CIJS suivi de la déclaration liminaire à la
CONFERENCE DE PRESSE DES AVOCATS DE LA FAMILLE DU PRESIDENT THOMAS SANKARA
SUITE AU DELIBERE RENDU LE 6 AVRIL 2022 PAR LA CHAMBRE DE JUGEMENT DU TRIBUNAL MILITAIRE DE OUAGADOUGOU

OUAGADOUGOU, LE 7 AVRIL 2022

La Campagne Internationale Justice pour Sankara (CIJS), coordonnée depuis 1997 par le GRILA (Groupe de Recherche et d’Initiative pour la Libération de l’Afrique) prend acte de la décision prononcée par l’honorable Juge Urbain Meda du tribunal militaire de Ouagadougou, ce 6 avril 2022. Ce jugement est le premier du genre dans l’histoire du continent, et marque d’ailleurs une jurisprudence dans l’histoire du droit. Durant la majeure partie de ces 25 années, les avocat-es de la CIJS ont essayé de faire entendre le droit contre l’État partie, et ensuite devant une cour du tribunal militaire. Ils se sont toujours interposés contre l’impunité. La CIJS est reconnaissante de toute la mobilisation panafricaine et internationale qui l’a assistée depuis 25 ans. Elle salue la mémoire des victimes et de tous ceux et celles qui ont payé de leur vie et donné leur sang pour que ce jour advienne enfin.

Grâce à la vaillante mobilisation populaire qui a chassé le régime Françafrique de Compaoré, l’honorable juge Yameogo a relancé la procédure, conformément au droit burkinabé et aux droits obtenus pour la veuve Sankara et ses enfants devant le comité des droits de l’Homme à l’ONU en 2006.

Du 6 mars 2015 au 7 octobre 2020, instructions et plaidoiries ont permis la réouverture du procès le 11 octobre 2021. Le procès a repris, disjoint de son volet international, puisque la France a tardé à fournir les documents déclassifiés, qu’elle va hélas finalement fournir de façon sélective et incomplète.

Ayant refusé notre requête de filmer et d’enregistrer pour la postérité ses audiences, la cour a néanmoins tenu, dans un lieu exceptionnellement réquisitionné, un procès qui fera date dans les annales de l’histoire juridique du Burkina Faso et de l’Afrique. La sérénité du procès a été perturbée un temps par un coup d’État qui a contribué à faire questionner la légitimité constitutionnelle du processus. La continuité de l’État a permis de reprendre le procès, et en toute connaissance de cause, les plaidoiries des parties civiles et de la défense et des dizaines de témoins et les accusés auront été entendus. Des accusés ont été condamnés d’autres ont été acquittés, comme décrit dans la déclaration liminaire ci-jointe. De grands pans de la vérité sur l’assassinat du président Sankara et de ses camarades ont été dévoilés, malgré le mutisme et les dénégations de plusieurs accusés. Fuyants ou tapis, les derniers commanditaires et assassins ont vu publiquement dévoilés leurs subterfuges et ils répondent devant leur conscience et désormais devant l’histoire. Nous demandons à la Côte d’Ivoire et la France de livrer les coupables et de participer à l’élucidation et à la clôture de cette affaire.

La CIJS salue la pugnacité et le courage de Mariam Sankara, la dignité de sa famille et l’inlassable travail conduit par 3 équipes d’avocat-es durant ces 25 ans. Elle recommande à la vigilance et à la fermeté pour le respect de la justice et pour une investigation du complot international. La CIJS salue la mobilisation des panafricain-es et des internationalistes qui l’ont soutenu pour aboutir à ce résultat. Les parties civiles se présenteront en cours le 13 avril prochain. La CIJS souhaite que la paix et la sérénité prévaudront maintenant que des coupables sont condamnés et escompte que le peuple du Burkina, confronté au djihadisme et à la déstabilisation, mieux réconcilié avec lui-même, recouvre sa souveraineté et l’élan qui lui fait mériter son titre de patrie des humains intègres.

DECLARATION LIMINAIRE

Mesdames et Messieurs les journalistes

Je voudrais, au nom de mes confrères et de mes consœurs prendre la parole pour avant toute chose saluer et reconnaître l’action de la presse nationale et internationale qui a été omniprésente à nos côtés et aux côtés des familles du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons durant les vingt cinq (25) années qu’ont duré les procédures judiciaires suite à la plainte de la veuve Mariam SANKARA et ses enfants Auguste et Philippe datée du 29 septembre 1997 et objet de l’ordonnance du doyen des Juges d’instruction en date du 09 octobre 1997.

Permettez-moi également de saluer tous les efforts du GRILA et de la CIJS, Campagne Internationale Justice pour Thomas SANKARA et du Professeur Aziz FALL et les efforts de tous ceux qui, dans l’ombre comme au grand jour ont mené le même combat que nous pour la manifestation de la vérité dans l’assassinat ignoble et crapuleux du Président Thomas SANKARA suivi du massacre de 12 de ses compagnons et de bien d’autres personnes comme les suppliciés de Koudougou et de toutes autres victimes tuées, blessées, forcées à l’exil qui ont subi les conséquences de l’attentat du 15 octobre 1987.

Mesdames et Messieurs les journalistes,

L’Avocat est un auxiliaire de justice qui concourt à la manifestation de la vérité. La mission de l’Avocat n’est point ni de ruser avec la loi ni de tromper le juge ou de chercher à l’induire en erreur. Sa mission, c’est de défendre au mieux les intérêts de son client dans le respect de la loi, de sa déontologie et de son serment.

C’est pourquoi, nous vouons un attachement inébranlable au procès équitable où sont respectés les droits de la défense, la présomption d’innocence et le principe du contradictoire, qui sont toujours, que l’on soit de la partie civile ou de la défense, un préalable indiscutable de notre profession afin que le droit soit dit dans toute sa rigueur et ce quelle que soit la juridiction.

Le procès est par définition l’endroit où les règles et les formes conduisent à la décision valable du juge depuis sa saisine. C’est pourquoi, nous nous sommes volontiers prêtés à cet exercice d’une durée inhabituelle. Six (6) mois de procès, c’est une longue durée, comme l’attente pour arriver à un procès a été longue. Mais pour paraphraser notre regretté confrère Dieudonné Nkounkou, aussi longue est la nuit, le jour viendra.

Aussi, tirant les enseignements du Président Thomas SANKARA qui disait que « Là où s’abat le découragement, c’est là où s’élève la victoire des persévérants ». Nous avons persévéré malgré l’adversité et les multiples difficultés pendant vingt cinq (25) ans durant lesquels nous avons mené toutes sortes de procédures tant au plan national qu’au plan international, aussi bien devant les juridictions civiles que militaires.

Sans relâche et avec vaillance, simplement guidés par notre mission d’obtenir la vérité et rien que la vérité, le procès contre Blaise COMPAORE dit Jubal et autres, poursuivis pour attentat à la sûreté de l’Etat, assassinats, complicités d’assassinats, recel de cadavres, faux en écriture publique vit enfin le jour malgré toutes les vicissitudes et les péripéties qu’on n’ose pas imaginer. Le procès qui, enfin s’ouvrit le 11 octobre 2021 a connu son épilogue le 06 avril 2022 avec la décision suivante, rendue après presque six (6) ans d’instruction (du 06 mars 2015 au 07 octobre 2020, soit cinq (05) ans et sept (07) mois) et six (06) mois de plaidoiries à savoir :

« Statuant publiquement, par défaut à l’égard de COMPAORE Blaise et de KAFANDO Tousma Yacinthe, contradictoirement à l’égard de BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, DIEBRE Alidou, Jean Christophe DIENDERE Gilbert, KAFANDO Hamado, ILBOUDO Yamba Elysée, OUEDRAOGO Nabonssouindé, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, SAWADOGO Idrissa, TONDE Ninda dit Pascal et TRAORE Bossobè, en matière criminelle et en premier ressort :

Déclare, relativement aux faits de faux en écriture publique ou authentique reprochés aux accusés DIEBRE Alidou Jean-Christophe, KAFANDO Hamado et aux faits de recel de cadavres reprochés aux accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, l’action publique éteinte à leur égard pour cause de prescription;

Acquitte l’accusé TRAORE Bossobè des chefs de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et de complicité d’assassinat pour infractions non constituées;

Acquitte l’accusé DIENDERE Gilbert du chef de subordination de témoin pour infraction non constituée;

Déclare l’accusé TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba coupable des fait de subordination de témoin à lui reprochés

Déclare les accusés BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés;

Déclare les accusés KAFANDO Tousma Yacinthe, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa ET OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits d’assassinat à eux reprochés;

Déclare les accusés COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe coupables des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés;

Déclare les accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, coupables des faits de complicité d’assassinats à eux reprochés;

En répression, condamne :

  • BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi et DEME Djakalia à cinq (05) ans d’emprisonnement assortie du sursis chacun;
  • TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba à trois (03) ans d’emprisonnement ferme;
  • OUEDRAOGO Tibo et PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre à dix (10) ans d’emprisonnement ferme chacun;
  • ILBOUDO Yamba Elysée à onze (11) ans d’emprisonnement ferme;
  • SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé à vingt (20) ans d’emprisonnement ferme chacun ;
  • COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe à la peine d’emprisonnement à vie chacun;


Prononce la déchéance des décorations de tous les accusés condamnés ayant bénéficié d’une ou de plusieurs distinctions honorifiques;

Dit que le présent jugement vaut titre de détention pour les accusés condamnés à une peine privative de liberté non couverte par la détention provisoire conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Décerne contre TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba, mandat de dépôt conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Dit que les mandats d’arrêt décernés contre COMPAORE Blaise et KAFANDO Tousma Yacinthe sont maintenus et ce en application des dispositions de l’article 261-128 alinéa 4 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Sans désemparer, le Président a averti les parties qu’elles avaient un délai de quinze (15) jours francs à compter du prononcé du présent jugement, pour interjeter appel, conformément aux dispositions de l’article 317-9 du Code de procédure pénale;
Met les dépens à la charge des accusés condamnés. »

En effet, la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou vient ainsi d’inscrire dans l’histoire judiciaire du Burkina Faso en lettres d’or le nom du juge Urbain MEDA et celui de tous les membres de la Chambre qui, pour la postérité ont courageusement dit le droit et rendu la justice au nom du peuple burkinabé.

Cette décision, si elle est une victoire, elle est le mérite d’abord de notre cliente principale, Madame Mariam SANKARA dont il faut saluer le courage, la bravoure et l’abnégation. Ensuite, elle est le fruit du combat de tous les hommes et femmes épris de justice, de vérité, de paix et de liberté comme valeurs cardinales de la dignité humaine.

Enfin, cette victoire, il faut la dédier à la presse dont le rôle a été déterminant dans la recherche et la manifestation de la vérité sur l’assassinat du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons.

Permettez-moi alors, au nom des familles et celui de mes confrères, d’exprimer à l’ensemble des médias notre profonde reconnaissance pour cet accompagnement constant AU NOM DE LA LIBERTE ET DE LA JUSTICE.

Mesdames et Messieurs les journalistes,

C’est de ce qui précède que nous, Avocats de la partie civile, constitués aux côtés de Mariam SANKARA, de ses enfants, de la famille de Thomas SANKARA prenons acte de la décision rendue le 06 avril 2022 par la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou.

Nous nous félicitons des résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à un travail d’équipe fait avec méthode dans la confraternité et dans l’engagement des Avocat-es qui ont vu à travers le procès Thomas SANKARA la défense au-delà des intérêts familiaux, d’une cause : celle de la liberté africaine et la lutte contre l’impunité.

Certes beaucoup de zones d’ombre existent encore, notamment au plan des complicités internationales. Nous continuerons notre quête de la vérité à ce sujet en relançant immédiatement le Tribunal militaire de Ouagadougou pour savoir où en sont les enquêtes sur le volet international laissé à l’instruction par la disjonction prononcée par le Juge Yaméogo il y a plus d’un an de cela.
Il est également vrai que des auteurs et têtes pensantes de ces crimes Blaise COMPAORE et Yacinthe KAFANDO ont pu fuir leur pays pour tenter de se dérober à la justice, mais l’aspiration essentielle du peuple burkinabé et africain et de l’opinion en général est atteinte en ce sens que la vérité a vu le jour.

« Aussi longue est la nuit, le jour viendra. »
C’est donc sans présager des recours éventuels des accusés, que nous apprécions cette décision sous l’angle strictement du droit qui a été dit et la justice rendue dans un procès équitable et conforme aux normes internationales. Nous prenons également acte des sanctions qui ont été prononcées contre certains accusés à la hauteur de la gravité des crimes par eux commis.

Je vous remercie.

Me Bénéwende Sankara
Au nom du Collectif des avocat-es de la Campagne Internationale Justice pour Sankara

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