36e Commémoration de l’Assassinat de Sankara et de ses Camarades

Communiqué de Presse

36e Commémoration de l’Assassinat de Sankara et de ses Camarades

La CIJS se réjouit des décisions de l’État du Burkina d’accorder le statut de héros national au martyr panafricain Thomas Isidore Sankara (loi No 005-2022-ALT).

Nous prenons acte de la pause de première pierre du projet de mausolée qui lui sera consacré et réitérons l’importance d’associer les familles dans ces processus.

Nous rappelons aux autorités la décision pendante d’exiger de la Côte-d’ivoire d’extrader Blaise COMPAORÉ et Yacinthe KAFANDO, les auteurs et têtes pensantes condamnés pour les crimes du 15 octobre 1987.

Nous continuerons notre quête de la vérité et demandons au Tribunal militaire de Ouagadougou où en sont les enquêtes sur le volet international laissé à l’instruction par la disjonction prononcée par le Juge Yaméogo.

Nous sommes conscients que nos demandes peuvent paraître secondaires, alors que le peuple du Burkina est affligé par les agressions et la déstabilisation, et nous réitérons notre solidarité avec sa courageuse résistance.

-30-

Press Release – ICJS – 35th Commemoration of The Assassination of Thomas Sankara and His Companions

Communiqué de Presse

35th Commemoration of The Assassination of Thomas Sankara and His Companions

L’année 2022 a été marquée de rebondissements au Burkina Faso. Le volet international du procès a été disjoint et un procès sous l’instance militaire a eu lieu. En plein procès de l’assassinat de Thomas Sankara survient le 23 janvier 2022 le coup d’État du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, présidé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Le régime dénonce l’inertie du gouvernement Kaboré contre le terrorisme et annonce sa prise de pouvoir. Peu de temps après, la constitution est suspendue puis restaurée, avec des mesures d’exception.

Le procès dans l’affaire Sankara reprend et les principaux accusés sont condamnés, le 6 avril 2022, à de lourdes peines. Parmi eux, le président Compaoré, condamné à perpétuité par défaut pour “attentat à la sûreté de l’État” et “complicité d’assassinat”.

Mais des tractations avec Abidjan perduraient déjà depuis un moment. Une frange de la classe politique argue que l’ex-régime Compaoré, ayant eu des pactes avec les djihadistes, pourrait restaurer la paix. Le retour de l’ancien président est réclamé et au nom d’une réconciliation, entre des parties qui ne sont pas énoncées. Un sommet rassemblant des ex-chefs d’état du pays est alors orchestré par le régime Damiba. C’est ainsi que Blaise Compaoré est reçu le 7 juillet 2022 en toute impunité. On lui déroule le tapis rouge plutôt que de l’arrêter, alors même que ce sommet échoue. Le 26 juillet, avec un semblant de contrition, Compaoré demande pardon par voie de presse, sans contacter les familles et sans reconnaitre son forfait et les crimes odieux qu’il a commis et surtout sans faire face à la justice. La Campagne Internationale Justice pour Sankara a considèré inacceptable ce manquement à la justice et cette poursuite de l’impunité.

Le 30 septembre des membres du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration renversent leur chef et installent le capitaine Ibrahima Traoré. Une fois désigné président, il convoque des assises nationales qui se tiendront le 14 et 15 octobre 2022 pour permettre une seconde charte de la transition. Cette seconde journée coïncide avec la date de l’assassinat du President Sankara et de ses collègues.

La famille du président Sankara attend depuis 35 ans que justice soit faite, que le verdict rendu soit exécuté et que le volet international du procès soit instruit. La CIJS exige des autorités françaises, ivoiriennes et américaines la divulgation de l’intégralité des documents d’archives relatifs au Président Sankara. Nous réclamons des obsèques nationales dignes et conformément aux volontés des familles. Il ne saurait en outre y avoir de réconciliation sans la vérité et sans respect des décisions de la justice. Les velléités d’amnistie des caciques de l’ancien régime, ne seront acceptées ni par les burkinabé ni par les panafricains du monde entier.

L’assassinat du président Sankara et l’arrêt de sa révolution n’ont aucun rapport avec les agressions terroristes qui affectent le Sahel et le Burkina. Sur cet enjeu la CIJS enjoint les internationalistes et panafricains du monde entier d’être solidaires de la résistance du peuple burkinabé.

-30-

Communiqué de presse 28 juillet 2022 - Au sujet de la visite du président Compaoré au Burkina et sa demande de pardon

Communiqué de presse 28 juillet 2022

CIJS
Campagne Internationale Justice pour Sankara

Au sujet de la visite du président Compaoré au Burkina et sa demande de pardon

En plein procès de l’assassinat de Thomas Sankara survient le 23 janvier 2022 un coup d’État, alors que le pays est assailli par des hordes djihadistes. Le 24 janvier 2022, un Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, présidé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, dénonce l’inertie du gouvernement Kaboré contre le terrorisme et annonce sa prise de pouvoir. Peu de temps après, la constitution est suspendue puis restaurée, avec des mesures d’exception.

Néanmoins le procès reprend et les principaux accusés sont condamnés le 6 avril suivant. Parmi eux le président Compaoré, condamné à perpétuité par défaut pour “attentat à la sûreté de l’État” et “complicité d’assassinat”.

Déjà durant le procès, des rumeurs de tractations avec Abidjan se confirmaient. Une frange de la classe politique argue que l’ex-régime Compaoré, ayant eu des pactes avec les djihadistes, pourrait restaurer la paix. Le retour de l’ancien président est réclamé et au nom d’une réconciliation, entre des parties qui ne sont pas énoncées. Un sommet rassemblant des ex-chefs d’état du pays est alors orchestré par le nouveau régime.

C’est ainsi que Blaise Compaoré est reçu le 7 juillet 2022 en toute impunité. On lui déroule le tapis rouge plutôt que de l’arrêter, alors même que ce sommet échoue.

Le 26 juillet, avec un semblant de contrition, il demande pardon par voie de presse, sans contacter les familles et sans reconnaitre son forfait et les crimes odieux qu’il a commis et surtout sans faire face à la justice.

La famille du président Sankara attend depuis 35 ans que Justice soit faite. Depuis le 6 avril 2022, elle attend que le verdict rendu par des juges indépendants après un procès exemplaire soit exécuté. Il ne saurait y avoir de réconciliation sans la vérité et sans respect de la justice. Le mépris affiché et par le nouveau régime et par Blaise Compaoré pour le verdict du tribunal militaire, rendu au nom du peuple burkinabé, est choquant. Les velléités d’amnistie des nouvelles autorités, faisant écho aux caciques de l’ancien régime, ne seront acceptées ni par les burkinabés ni par les panafricains du monde entier.

L’assassinat du président Sankara et l’arrêt de sa révolution n’ont aucun rapport avec les agressions terroristes qui affectent le Sahel et le Burkina. Dans la droite ligne du communiqué récent des avocats du collectif, la Campagne Internationale Justice pour Sankara considère inacceptable ce manquement à la justice et cette poursuite de l’impunité.

Communiqué de la CIJS et Conférence de presse du 6 Avril 2022

Communiqué de la CIJS suivi de la déclaration liminaire à la
CONFERENCE DE PRESSE DES AVOCATS DE LA FAMILLE DU PRESIDENT THOMAS SANKARA
SUITE AU DELIBERE RENDU LE 6 AVRIL 2022 PAR LA CHAMBRE DE JUGEMENT DU TRIBUNAL MILITAIRE DE OUAGADOUGOU

OUAGADOUGOU, LE 7 AVRIL 2022

La Campagne Internationale Justice pour Sankara (CIJS), coordonnée depuis 1997 par le GRILA (Groupe de Recherche et d’Initiative pour la Libération de l’Afrique) prend acte de la décision prononcée par l’honorable Juge Urbain Meda du tribunal militaire de Ouagadougou, ce 6 avril 2022. Ce jugement est le premier du genre dans l’histoire du continent, et marque d’ailleurs une jurisprudence dans l’histoire du droit. Durant la majeure partie de ces 25 années, les avocat-es de la CIJS ont essayé de faire entendre le droit contre l’État partie, et ensuite devant une cour du tribunal militaire. Ils se sont toujours interposés contre l’impunité. La CIJS est reconnaissante de toute la mobilisation panafricaine et internationale qui l’a assistée depuis 25 ans. Elle salue la mémoire des victimes et de tous ceux et celles qui ont payé de leur vie et donné leur sang pour que ce jour advienne enfin.

Grâce à la vaillante mobilisation populaire qui a chassé le régime Françafrique de Compaoré, l’honorable juge Yameogo a relancé la procédure, conformément au droit burkinabé et aux droits obtenus pour la veuve Sankara et ses enfants devant le comité des droits de l’Homme à l’ONU en 2006.

Du 6 mars 2015 au 7 octobre 2020, instructions et plaidoiries ont permis la réouverture du procès le 11 octobre 2021. Le procès a repris, disjoint de son volet international, puisque la France a tardé à fournir les documents déclassifiés, qu’elle va hélas finalement fournir de façon sélective et incomplète.

Ayant refusé notre requête de filmer et d’enregistrer pour la postérité ses audiences, la cour a néanmoins tenu, dans un lieu exceptionnellement réquisitionné, un procès qui fera date dans les annales de l’histoire juridique du Burkina Faso et de l’Afrique. La sérénité du procès a été perturbée un temps par un coup d’État qui a contribué à faire questionner la légitimité constitutionnelle du processus. La continuité de l’État a permis de reprendre le procès, et en toute connaissance de cause, les plaidoiries des parties civiles et de la défense et des dizaines de témoins et les accusés auront été entendus. Des accusés ont été condamnés d’autres ont été acquittés, comme décrit dans la déclaration liminaire ci-jointe. De grands pans de la vérité sur l’assassinat du président Sankara et de ses camarades ont été dévoilés, malgré le mutisme et les dénégations de plusieurs accusés. Fuyants ou tapis, les derniers commanditaires et assassins ont vu publiquement dévoilés leurs subterfuges et ils répondent devant leur conscience et désormais devant l’histoire. Nous demandons à la Côte d’Ivoire et la France de livrer les coupables et de participer à l’élucidation et à la clôture de cette affaire.

La CIJS salue la pugnacité et le courage de Mariam Sankara, la dignité de sa famille et l’inlassable travail conduit par 3 équipes d’avocat-es durant ces 25 ans. Elle recommande à la vigilance et à la fermeté pour le respect de la justice et pour une investigation du complot international. La CIJS salue la mobilisation des panafricain-es et des internationalistes qui l’ont soutenu pour aboutir à ce résultat. Les parties civiles se présenteront en cours le 13 avril prochain. La CIJS souhaite que la paix et la sérénité prévaudront maintenant que des coupables sont condamnés et escompte que le peuple du Burkina, confronté au djihadisme et à la déstabilisation, mieux réconcilié avec lui-même, recouvre sa souveraineté et l’élan qui lui fait mériter son titre de patrie des humains intègres.

DECLARATION LIMINAIRE

Mesdames et Messieurs les journalistes

Je voudrais, au nom de mes confrères et de mes consœurs prendre la parole pour avant toute chose saluer et reconnaître l’action de la presse nationale et internationale qui a été omniprésente à nos côtés et aux côtés des familles du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons durant les vingt cinq (25) années qu’ont duré les procédures judiciaires suite à la plainte de la veuve Mariam SANKARA et ses enfants Auguste et Philippe datée du 29 septembre 1997 et objet de l’ordonnance du doyen des Juges d’instruction en date du 09 octobre 1997.

Permettez-moi également de saluer tous les efforts du GRILA et de la CIJS, Campagne Internationale Justice pour Thomas SANKARA et du Professeur Aziz FALL et les efforts de tous ceux qui, dans l’ombre comme au grand jour ont mené le même combat que nous pour la manifestation de la vérité dans l’assassinat ignoble et crapuleux du Président Thomas SANKARA suivi du massacre de 12 de ses compagnons et de bien d’autres personnes comme les suppliciés de Koudougou et de toutes autres victimes tuées, blessées, forcées à l’exil qui ont subi les conséquences de l’attentat du 15 octobre 1987.

Mesdames et Messieurs les journalistes,

L’Avocat est un auxiliaire de justice qui concourt à la manifestation de la vérité. La mission de l’Avocat n’est point ni de ruser avec la loi ni de tromper le juge ou de chercher à l’induire en erreur. Sa mission, c’est de défendre au mieux les intérêts de son client dans le respect de la loi, de sa déontologie et de son serment.

C’est pourquoi, nous vouons un attachement inébranlable au procès équitable où sont respectés les droits de la défense, la présomption d’innocence et le principe du contradictoire, qui sont toujours, que l’on soit de la partie civile ou de la défense, un préalable indiscutable de notre profession afin que le droit soit dit dans toute sa rigueur et ce quelle que soit la juridiction.

Le procès est par définition l’endroit où les règles et les formes conduisent à la décision valable du juge depuis sa saisine. C’est pourquoi, nous nous sommes volontiers prêtés à cet exercice d’une durée inhabituelle. Six (6) mois de procès, c’est une longue durée, comme l’attente pour arriver à un procès a été longue. Mais pour paraphraser notre regretté confrère Dieudonné Nkounkou, aussi longue est la nuit, le jour viendra.

Aussi, tirant les enseignements du Président Thomas SANKARA qui disait que « Là où s’abat le découragement, c’est là où s’élève la victoire des persévérants ». Nous avons persévéré malgré l’adversité et les multiples difficultés pendant vingt cinq (25) ans durant lesquels nous avons mené toutes sortes de procédures tant au plan national qu’au plan international, aussi bien devant les juridictions civiles que militaires.

Sans relâche et avec vaillance, simplement guidés par notre mission d’obtenir la vérité et rien que la vérité, le procès contre Blaise COMPAORE dit Jubal et autres, poursuivis pour attentat à la sûreté de l’Etat, assassinats, complicités d’assassinats, recel de cadavres, faux en écriture publique vit enfin le jour malgré toutes les vicissitudes et les péripéties qu’on n’ose pas imaginer. Le procès qui, enfin s’ouvrit le 11 octobre 2021 a connu son épilogue le 06 avril 2022 avec la décision suivante, rendue après presque six (6) ans d’instruction (du 06 mars 2015 au 07 octobre 2020, soit cinq (05) ans et sept (07) mois) et six (06) mois de plaidoiries à savoir :

« Statuant publiquement, par défaut à l’égard de COMPAORE Blaise et de KAFANDO Tousma Yacinthe, contradictoirement à l’égard de BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, DIEBRE Alidou, Jean Christophe DIENDERE Gilbert, KAFANDO Hamado, ILBOUDO Yamba Elysée, OUEDRAOGO Nabonssouindé, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, SAWADOGO Idrissa, TONDE Ninda dit Pascal et TRAORE Bossobè, en matière criminelle et en premier ressort :

Déclare, relativement aux faits de faux en écriture publique ou authentique reprochés aux accusés DIEBRE Alidou Jean-Christophe, KAFANDO Hamado et aux faits de recel de cadavres reprochés aux accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, l’action publique éteinte à leur égard pour cause de prescription;

Acquitte l’accusé TRAORE Bossobè des chefs de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et de complicité d’assassinat pour infractions non constituées;

Acquitte l’accusé DIENDERE Gilbert du chef de subordination de témoin pour infraction non constituée;

Déclare l’accusé TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba coupable des fait de subordination de témoin à lui reprochés

Déclare les accusés BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi, DEME Djakalia, OUEDRAOGO Tibo, PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés;

Déclare les accusés KAFANDO Tousma Yacinthe, ILBOUDO Yamba Elysée, SAWADOGO Idrissa ET OUEDRAOGO Nabonssouindé, coupables des faits d’assassinat à eux reprochés;

Déclare les accusés COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe coupables des faits d’attentat à la sûreté de l’Etat qui leur sont reprochés;

Déclare les accusés COMPAORE Blaise et DIENDERE Gilbert, coupables des faits de complicité d’assassinats à eux reprochés;

En répression, condamne :

  • BELEMLILGA Albert Pascal Sibidi et DEME Djakalia à cinq (05) ans d’emprisonnement assortie du sursis chacun;
  • TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba à trois (03) ans d’emprisonnement ferme;
  • OUEDRAOGO Tibo et PALM Mori Aldiouma Jean-Pierre à dix (10) ans d’emprisonnement ferme chacun;
  • ILBOUDO Yamba Elysée à onze (11) ans d’emprisonnement ferme;
  • SAWADOGO Idrissa et OUEDRAOGO Nabonssouindé à vingt (20) ans d’emprisonnement ferme chacun ;
  • COMPAORE Blaise, DIENDERE Gilbert et KAFANDO Tousma Yacinthe à la peine d’emprisonnement à vie chacun;


Prononce la déchéance des décorations de tous les accusés condamnés ayant bénéficié d’une ou de plusieurs distinctions honorifiques;

Dit que le présent jugement vaut titre de détention pour les accusés condamnés à une peine privative de liberté non couverte par la détention provisoire conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Décerne contre TONDE Ninda dit Pascal alias Mang-Naaba, mandat de dépôt conformément aux dispositions de l’article 315-14 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Dit que les mandats d’arrêt décernés contre COMPAORE Blaise et KAFANDO Tousma Yacinthe sont maintenus et ce en application des dispositions de l’article 261-128 alinéa 4 de la loi N°040-2019/AN du 29 mai 2019 portant Code de procédure pénale;

Sans désemparer, le Président a averti les parties qu’elles avaient un délai de quinze (15) jours francs à compter du prononcé du présent jugement, pour interjeter appel, conformément aux dispositions de l’article 317-9 du Code de procédure pénale;
Met les dépens à la charge des accusés condamnés. »

En effet, la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou vient ainsi d’inscrire dans l’histoire judiciaire du Burkina Faso en lettres d’or le nom du juge Urbain MEDA et celui de tous les membres de la Chambre qui, pour la postérité ont courageusement dit le droit et rendu la justice au nom du peuple burkinabé.

Cette décision, si elle est une victoire, elle est le mérite d’abord de notre cliente principale, Madame Mariam SANKARA dont il faut saluer le courage, la bravoure et l’abnégation. Ensuite, elle est le fruit du combat de tous les hommes et femmes épris de justice, de vérité, de paix et de liberté comme valeurs cardinales de la dignité humaine.

Enfin, cette victoire, il faut la dédier à la presse dont le rôle a été déterminant dans la recherche et la manifestation de la vérité sur l’assassinat du Président Thomas SANKARA et de ses compagnons.

Permettez-moi alors, au nom des familles et celui de mes confrères, d’exprimer à l’ensemble des médias notre profonde reconnaissance pour cet accompagnement constant AU NOM DE LA LIBERTE ET DE LA JUSTICE.

Mesdames et Messieurs les journalistes,

C’est de ce qui précède que nous, Avocats de la partie civile, constitués aux côtés de Mariam SANKARA, de ses enfants, de la famille de Thomas SANKARA prenons acte de la décision rendue le 06 avril 2022 par la chambre de jugement du Tribunal Militaire de Ouagadougou.

Nous nous félicitons des résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à un travail d’équipe fait avec méthode dans la confraternité et dans l’engagement des Avocat-es qui ont vu à travers le procès Thomas SANKARA la défense au-delà des intérêts familiaux, d’une cause : celle de la liberté africaine et la lutte contre l’impunité.

Certes beaucoup de zones d’ombre existent encore, notamment au plan des complicités internationales. Nous continuerons notre quête de la vérité à ce sujet en relançant immédiatement le Tribunal militaire de Ouagadougou pour savoir où en sont les enquêtes sur le volet international laissé à l’instruction par la disjonction prononcée par le Juge Yaméogo il y a plus d’un an de cela.
Il est également vrai que des auteurs et têtes pensantes de ces crimes Blaise COMPAORE et Yacinthe KAFANDO ont pu fuir leur pays pour tenter de se dérober à la justice, mais l’aspiration essentielle du peuple burkinabé et africain et de l’opinion en général est atteinte en ce sens que la vérité a vu le jour.

« Aussi longue est la nuit, le jour viendra. »
C’est donc sans présager des recours éventuels des accusés, que nous apprécions cette décision sous l’angle strictement du droit qui a été dit et la justice rendue dans un procès équitable et conforme aux normes internationales. Nous prenons également acte des sanctions qui ont été prononcées contre certains accusés à la hauteur de la gravité des crimes par eux commis.

Je vous remercie.

Me Bénéwende Sankara
Au nom du Collectif des avocat-es de la Campagne Internationale Justice pour Sankara

-

Anta Guissé : « Le procès Sankara est un procès avec l’histoire »

Anta Guissé : « Le procès Sankara est un procès avec l’histoire »

Depuis plus de vingt ans, l’avocate franco-sénégalaise Anta Guissé a porté la parole de la défense devant les tribunaux internationaux pour le Rwanda et pour le Cambodge, ainsi que devant la Cour pénale internationale. Elle vient de plaider pour les familles des victimes dans le procès au Burkina-Faso sur l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara, dont le verdict est attendu pour le 6 avril. Et partage ses réflexions sur le jugement de ces crimes extraordinaires.

JUSTICE INFO: Le 15 octobre 1987, le président du Burkina-Faso Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons dans un coup d’État. Trente-cinq ans plus tard, 14 personnes, dont 2 en fuite, sont poursuivies pour ces meurtres et pour « attentat à la sûreté de l’Etat et complicité d’attentat ». C’est-à-dire, pour reprendre une citation dans votre plaidoirie, pour un crime « d’exception au milieu des crimes ordinaires », un crime qui « ébranle l’ordre social dans ses fondements ». En quoi cet assassinat politique doit-il être considéré comme majeur même s’il n’est pas un crime international ?

ANTA GUISSÉ: L’attentat en lui-même est un crime d’exception, il est jugé à part. Les assassinats, eux, restent des crimes de droit commun. La particularité est que cela touche un chef d’État. Le Burkina-Faso a connu beaucoup de coups d’États mais celui-ci est le plus sanglant. Ce fut un bain de sang sous la forme d’une exécution en règle. Ce qui est également particulier, c’est que cela a été prémédité et préparé, puisqu’au même moment où on le tuait au Conseil de l’Entente [siège du pouvoir exécutif], on a fait en sorte de tuer aussi les personnes qui étaient susceptibles d’être les plus proches de Sankara et auraient pu intervenir pour déjouer le coup d’État.

C’était un moment charnière dans l’histoire de l’Afrique, où l’on pouvait basculer dans une autre façon d’aborder le mode de gouvernement sur le continent, une autre façon de voir les rapports entre anciens pays colonisateurs et anciens peuples colonisés. Le fait que cela ait été fauché aussi violemment et par son meilleur ami [Blaise Compaoré, président du Burkina de 1987 à 2014] ajoute une dimension un peu shakespearienne.

La personnalité de Sankara et de cette révolution au Burkina me rappellent bien sûr l’adolescente que j’étais à l’époque et ce que cela a alors voulu dire pour beaucoup de gens. J’ai des parents gauchistes et de milieux militants ; un ami burkinabé venait souvent séjourner chez nous et il est mort pendant ces événements. On parle toujours des personnes tuées au Conseil de l’Entente mais, malheureusement, d’autres gens sont morts ou ont disparu dans des circonstances étranges dans les semaines et mois qui ont suivi.

Je me souviens d’une énorme tristesse. Je côtoie des Africains de tous milieux ; quand ils apprennent que je suis intervenue dans ce procès [comme avocate des parties civiles], tous se souviennent du jour où ils ont appris la mort de Thomas Sankara – et tous ont pleuré. Tous, quelle que soit leur nationalité.

C’est donc l’histoire du Burkina, mais pas seulement : du fait des positions et des discours extrêmement forts de Sankara, c’est l’histoire de l’Afrique. C’était le roi de la « punchline » ! C’était l’époque des Houphouët [Félix Houphouët-Boigny, président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993], des Eyadéma [Gnassingbé Eyadéma, président du Togo de 1967 à 2005] et Sankara était ce jeune qui dirigeait un pays pauvre mais qui tout à coup se retrouvait sur la scène des grands parce qu’il avait cette dignité, cette volonté de travailler avec ce que l’on a, d’avoir une autre vision du développement. Il y avait certainement les erreurs de la révolution mais on ne peut pas enlever à Sankara qu’il était d’une extrême probité et cela changeait beaucoup par rapport aux autres gouvernants de l’époque et à ceux qui ont suivi. Ce fut un grand espoir totalement détruit.

Trente-cinq ans après les faits, sur le plan judiciaire, la preuve a pu se déliter mais nous avons aussi le bénéfice de la distance. Nous voyons maintenant bien qui a fait quoi de cette révolution.

Nous avons eu un vrai procès d’assises, avec des experts balistiques et des interventions sur les faits : comment on a tué les gens, à quel moment, qu’est-ce qui s’est passé dans les mois qui ont précédé le 15 octobre et après.

JUSTICE INFO: N’est-ce pas ce que l’on appelle un procès pour l’histoire ?

Oui, mais pas seulement. Nous avons eu un vrai procès d’assises, avec des experts balistiques et des interventions sur les faits : comment on a tué les gens, à quel moment, qu’est-ce qui s’est passé dans les mois qui ont précédé le 15 octobre et après. Je dirais plutôt que c’est un procès avec l’histoire, dans le sens où nous avons des éléments de compréhension que nous n’aurions pas eu si nous avions jugé les faits dans la foulée – par exemple, un certain nombre de câbles diplomatiques français qui exposent les diverses explications données par le clan Compaoré, les crispations dans la « Françafrique » ou en Côte d’Ivoire.

JUSTICE INFO: Que retenez-vous de ce procès ? Qu’a-t-on appris ?

Que cela a été vraiment prémédité, que cela remontait à de nombreux mois, voire plus. Il y avait eu plusieurs tentatives d’assassinat auparavant. Thomas Sankara savait que sa vie était en danger et il a volontairement refusé d’entrer dans cet engrenage. On a appris que Blaise Compaoré était un vrai traître – on s’en doutait mais c’est désormais plus apparent – et que c’était un animal politique. Tant au niveau national qu’international, il avait fait en sorte de s’assurer qu’il n’y aurait pas de répercussions.

JUSTICE INFO: Vous avez déjà agi comme avocate de la défense devant le Tribunal pour les Khmers rouges, au Cambodge, où les faits étaient également jugés trente-cinq ans plus tard. Quelle fonction remplit une cour dans des procès de ce type ?

Je n’arrive pas à faire de parallèle entre le procès de Khieu Samphan [président du Kampuchea démocratique de Pol Pot, entre 1975 et 1979, condamné à perpétuité en 2014 puis en 2018 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide] et l’affaire Sankara. Le procès Sankara est vraiment celui d’une cour d’assises ; on n’y parle pas seulement de responsables politiques, on parle de la mise en place d’un commando. Les faits sont très différents : on ne juge pas Compaoré sur sa gestion ou ses politiques pendant ses 27 années au pouvoir. C’est vraiment l’attentat qui est poursuivi. Bien sûr, quand nous plaidons, nous y mettons la dimension politique mais, en définitive, nous sommes bien en train de parler des 13 assassinats ce jour-là. C’est extrêmement précis, avec des gens qui ont tenu les armes, qui ont participé à la réunion préparatoire, etc.

JUSTICE INFO: Il y a deux accusés absents majeurs au procès : l’ancien président Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire, et Hyacinthe Kafando, le chef du commando, en fuite. A quel point cela a-t-il diminué l’intérêt de ce procès ?

Cela ne l’a pas diminué. On aurait pu avoir ces accusés présents mais silencieux. Même si les Burkinabés auraient aimé entendre leur voix.

JUSTICE INFO: Les tribunaux saisis de ces procès historiques ont souvent la tentation d’écrire l’histoire. Comment abordez-vous le risque que les juristes se prennent pour des historiens ?

Dans le procès Sankara, la famille ne voulait pas du tout réécrire l’histoire. Pour elle, on a assassiné Sankara et ses compagnons en donnant des explications qui étaient fausses. Et c’était important de rétablir les faits. Il y avait, certes, une remise en contexte historique mais on parlait de faits très précis : ce jour-là, on a tué Thomas Sankara alors qu’il sortait du Conseil de l’Entente et qu’il n’était pas armé, on l’a exécuté, lui et ses compagnons. Point. C’est un déroulement très factuel. C’était un assassinat politique dans le but de prendre le pouvoir. On n’a pas refait l’histoire de la révolution. Il n’y a pas eu d’expert sur le contexte historique. On a vraiment parlé aux acteurs et aux témoins directs de l’époque.

Les juges ne sont pas censés lutter contre l’impunité ; ils sont censés juger de manière impartiale.

JUSTICE INFO: Et dans le procès des anciens dirigeants khmers rouges ?

Dans ce type de procès, le rôle de la défense est de rappeler que l’on est devant un tribunal pénal. On est là pour juger un homme sur des actes qu’il est supposé avoir posés. Au procès de Khieu Samphan, on nous parlait des Khmers rouges, du régime, etc. On dilue le rapport entre l’homme et les faits. On présente la lutte contre l’impunité comme l’étendard de ces juridictions alors que la lutte contre l’impunité revient au seul procureur. Les juges ne sont pas censés lutter contre l’impunité ; ils sont censés juger de manière impartiale. C’est ici où, souvent, le bât blesse. On a affaire à des faits d’une extrême complexité, avec des modes de responsabilité, notamment « l’entreprise criminelle commune », où l’on dit que l’accusé n’avait pas besoin d’avoir envie de commettre un crime pour l’avoir commis et qu’il suffisait que ce soit une conséquence prévisible. Comment être responsable d’un crime que l’on n’a pas voulu commettre ? Ce sont des constructions intellectuelles pour s’assurer que des gens, responsables politiques à un moment donné, puissent être aussi pénalement responsables de faits très éloignés de leur personne. On comprend la volonté morale [qui sous-tend cet objectif] mais on peut arriver à des positions totalement schizophrènes sur ce que c’est de commettre un crime et ce qu’est la responsabilité pénale. Ce sont des procès où il y a une présomption de culpabilité. Nous rappelons, en défense, qu’au pénal, il y a une présomption d’innocence.

On met beaucoup d’attentes dans ces procès en omettant de dire qu’ils n’offriront jamais tout ce qu’on veut. On entend de grands discours sur la lutte contre l’impunité, la réconciliation, la vérité mais, sur des faits aussi complexes et aussi étendus dans le temps, il n’y a pas qu’une vérité – et cela est propre à tout procès.

Certaines juridictions sont faites pour que l’opinion internationale lave un peu sa conscience. Je ne suis pas très certaine que les juridictions internationales servent vraiment à éviter la répétition des faits.

JUSTICE INFO: Mais il existe souvent une tension entre le pénal et l’histoire. Au Cambodge, avant l’ouverture du premier procès, le procureur international avait déclaré devant une assemblée de Cambodgiens qu’il ne s’agissait pas de juger une idéologie. Dans la salle, un homme de la campagne s’était levé pour lui rétorquer que, dans ce cas, il ne poursuivait que « la fumée ». Dans l’esprit de tous, ces procès jugeaient évidemment une idéologie. Comment appréhendez-vous cette tension, quand l’idéologie est au cœur du crime ?

Dans le cas des Khmers rouges, un des gros problèmes juridiques est que l’on nous expliquait que la vision politique des Khmers rouges n’était pas en soi criminelle mais que des moyens mis en œuvre l’étaient nécessairement. On était en plein grand écart. La théorie d’une entreprise criminelle commune où, les crimes étant prévisibles, la responsabilité des accusés était engagée, ne s’appliquait pas. Et il fallait quand même retenir ce mode de responsabilité. Nous disions que si on est en train de transformer un mode de responsabilité parce que l’on n’arrive pas à faire le lien avec les crimes autrement, on ne fait pas du droit. Nous n’avons jamais soutenu qu’il n’y avait pas de crimes à tel ou tel endroit ; nous avons simplement dit : sa participation à telle ou telle réunion ne permet pas d’induire qu’il participait à la commission de ces crimes.

Il y a une question plus philosophique derrière votre question : est-ce que le procès pénal est la bonne forme pour ce type de dossier ? C’est une vraie question et elle est d’autant plus problématique sur des faits particulièrement anciens, où des auteurs plus directs sont morts.

Je pense que si Khieu Samphan n’avait pas été le dernier des dirigeants khmers rouges en vie, on n’aurait pas abouti au même résultat. A un moment donné, on fait avec les moyens du bord et on dit qu’il n’y a pas d’autre moyen que de condamner. Après la première condamnation de Nuon Chea [ancien numéro 2 du pouvoir khmer rouge, condamné à perpétuité en 2014 puis en 2018 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide] et de Khieu Samphan, un journal avait établi la somme dépensée pour aboutir à ce jugement et dit que l’on avait enfin sa justification. Lorsqu’il s’agit d’individus qui ont essentiellement une responsabilité politique, éloignée des faits, il faut lire les justifications mais les jugements font 2600 pages et personne ne les lit. Si l’on n’essaie pas de comprendre mais seulement de valider un postulat de départ, quel était l’intérêt d’un procès ?

Je crois beaucoup à l’intérêt pédagogique d’un procès. Certaines juridictions sont faites pour que l’opinion internationale lave un peu sa conscience sur des situations où elle n’est pas intervenue. Je ne suis pas très certaine que la jurisprudence des juridictions internationales serve vraiment à éviter la répétition des faits. Ceux qui manquent souvent sur le banc des accusés sont ceux qui avaient le pouvoir de prendre des décisions au moment des crises. Que ce soit en République centrafricaine ou au Rwanda, c’est frustrant de savoir qu’il y avait des missions des Nations unies sur place et que l’on n’a pas empêché les crimes. Cela devrait nous interpeller : que fait-on mal pour que cela se répète ?

JUSTICE INFO: Vous avez défendu Khieu Samphan, un révolutionnaire qui a servi une idéologie vilipendée, ayant détruit des millions de vies au nom de la lutte des classes. Vos clients rwandais étaient accusés d’avoir embrassé une idéologie raciste qui a coûté des centaines de milliers de vies. Dans le procès Sankara, vous représentiez les familles des collaborateurs d’un homme révéré pour son idéologie anticoloniale, panafricaine et pour ses idées visionnaires. Était-ce une respiration pour vous, d’être du côté des victimes et d’une icône positive ?

J’ai toujours aimé être en défense parce que j’aime prendre le temps d’essayer de comprendre et de ne pas avoir une vision manichéenne des choses. Dans le dossier Sankara, il y a une dimension plus personnelle, d’assister la famille d’une personne que j’admire particulièrement et qui a joué un rôle important dans ma construction personnelle. C’est une respiration parce que c’est un autre mode de travail, la pression est différente. Dans mes autres procès en défense, il y a un aspect beaucoup plus intellectualisé. Dans Sankara, l’affect était clairement plus important. Dans ma plaidoirie, j’ai été submergée par l’émotion et je ne m’y attendais pas. J’ai parfois été très émue en écoutant des personnes témoigner devant les tribunaux internationaux mais en plaidant, c’était nouveau. « Défendre » une icône que l’on a respectée, c’est une expérience professionnelle particulière, l’une des plus belles que j’ai vécues.

JUSTICE INFO: Était-ce plus agréable d’être aimée par l’opinion publique, au lieu d’être le vilain canard ?

C’est un métier où l’on apprend à être aimée un jour, et pas le suivant. Je regarde cela avec une petite distance amusée. Bien sûr, c’est plus agréable, non pas d’être aimée – c’est un sentiment très furtif – mais de porter la parole d’une famille et de représenter un homme qui avait une vision et qui en est mort.

JUSTICE INFO: Auriez-vous pu être en défense dans le procès Sankara ?

Non, je n’aurais pas pu, je n’aurais pas accepté. A cause de l’affect. L’avocat doit aller là où il sait qu’il peut faire un bon travail.

JUSTICE INFO: Comment les Cambodgiens pourraient-ils comprendre cela alors que vous avez accepté de défendre Khieu Samphan là-bas ?

Encore une fois parce que, pour moi, c’était peut-être plus facile de mettre une distance intellectuelle avec des faits sur lesquels je n’avais pas d’histoire personnelle. On ne fait pas forcément du bon travail s’il on est trop proche.

JUSTICE INFO: Rwanda, Cambodge, Burkina-Faso : dans tous ces dossiers, les avocats de la défense notamment pointent du doigt les responsabilités étrangères, qui ne sont jamais jugées par ces tribunaux pénaux. Comment vivez-vous ce procès en creux qui n’aboutit jamais ?

C’est une des libertés que l’on a en tant qu’avocat, de mettre en avant tout cela. Il y a le procès dans le prétoire et ce qui va en sortir pour alimenter un débat à l’extérieur. Ce que l’on met en avant devant une juridiction peut nourrir une autre discussion.

JUSTICE INFO: Mais est-ce une source de frustration ou l’acceptez-vous ainsi ?

C’est une question de pouvoir, de [rapport de] force. Je ne l’accepte pas mais on peut la dénoncer. Mettre en avant ces failles-là devant les tribunaux est une manière de les exposer. Je sais bien que les États agissent en fonction de leurs intérêts et que, tant que le rapport de force est ainsi, il est difficile de changer les choses. Ce n’est pas un procès qui change la face du monde. Le fait que l’on ne traite que la responsabilité individuelle implique que l’on ne s’intéresse qu’à une partie du problème.

JUSTICE INFO: Vous dénoncez souvent une justice internationale « hors sol » et vous voilà à nouveau avocate de la défense dans le procès du Centrafricain Alfred Yekatom devant la Cour pénale internationale. Qu’est-ce qui justifie que vous continuiez ?

Il y a quand même une adrénaline particulière dans ces procès. En défense, on a les moyens d’explorer des choses que l’on ne peut pas forcément faire dans une pratique nationale. La vraie question est la façon dont on mène les débats à l’audience. C’est vrai qu’après avoir goûté de la justice nationale dans le procès Sankara – même si sur des faits différents -, savoir que le public peut venir, qu’il suit au jour le jour dans la presse ce qui s’est dit, que les acteurs parlent à visage découvert, fait que l’on a un impact particulier que l’on n’a pas forcément devant une juridiction internationale.

Comme beaucoup de Noirs et de femmes noires qui arrivent à avoir une certaine visibilité professionnelle, on sait que l’on a envie de faire bien puisque, étant donné les préjugés, cela risquerait de fermer la porte à dix autres qui sont derrière nou

JUSTICE INFO: Être une femme et être une femme noire devant ces tribunaux internationaux, qu’est-ce que cela change ?

C’est plus une question de perception chez les gens. Comme beaucoup de Noirs et de femmes noires qui arrivent à avoir une certaine visibilité professionnelle, on sait que l’on a envie de faire bien puisque, étant donné les préjugés, cela risquerait de fermer la porte à dix autres qui sont derrière nous. C’est une responsabilité. Même du côté des accusés, il existe cette notion qu’être défendu par un homme blanc, c’est toujours mieux que par une femme noire. Il s’agit de contrer cela devant des juridictions internationales qui sont souvent inaccessibles à des professionnelles qui viennent des pays du Sud. Qui a les moyens d’y faire même un stage ? Pour un jeune juriste d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie, il faut s’accrocher pour avoir un visa Schengen. C’est encore un système de riches, malgré les efforts. On sait que cela donne un peu d’espoir de savoir qu’il y a aussi des gens qui nous ressemblent un peu et qui peuvent être dans le prétoire.

S’il s’agit de justice internationale et de se confronter à l’universel, eh bien je suis le symbole de l’universalité. Je suis à la croisée de beaucoup d’histoires.

JUSTICE INFO: Au Cambodge, par exemple, y a-t-il eu un moment où vous avez eu le sentiment, bien au-delà du procès, que vous parveniez à éroder les stéréotypes ?

Je ne peux pas dire que je pense à ça tous les matins en me réveillant. J’ai bien vu dans les rues de Phnom Penh que l’on n’a pas forcément l’habitude de voir des Noires comme moi – et encore moins au poste d’avocat. Donc oui, on casse les stéréotypes. Je ne suis pas une sportive, je ne suis pas une danseuse, je ne suis pas une chanteuse. Voilà, je suis avocate dans ma robe noire [rires]. J’étais ‘mè thirvi khmao’, l’avocate noire. Même le client a pu se demander s’il prenait le risque. Quelqu’un de l’équipe [de défense] m’a dit que lorsqu’il s’était agi de choisir, mon client a dit : « Ah oui, ce serait moderne. »

Et puis, s’il s’agit de justice internationale et de se confronter à l’universel, eh bien je suis le symbole de l’universalité. Je suis à la croisée de beaucoup d’histoires. Mais au final, il faut que ce soit anecdotique : c’est ce qui est dit qui est important. De voir enfin des héros qui nous ressemblent à la télé, de pouvoir nous projeter, c’est important quand on est Noir et que l’on est femme. Cela devrait arrêter de faire du bien et être juste normal mais ça ne l’est pas encore.

Comment parler de l’immigration, des matières premières, des problèmes de développement, sans parler de ça, des traces du passé colonial ?

JUSTICE INFO: Le passé colonial revient sur la table de la justice et des réparations. Vous êtes une femme de droit, d’ascendance sénégalaise – le pays de Léopold Sédar Senghor – et martiniquaise – le pays d’Aimé Césaire. Que vous inspire ce retour du colonial et cette exigence de justice ?

Ce que je vois en France est une vraie régression. Nous arrivons à un moment où l’on peut commencer à voir l’histoire en face mais autant la discussion a lieu, autant sur le plan politique j’entends les discours passéistes et rétrogrades des Zemmour, Le Pen et consorts [Éric Zemmour et Marine Le Pen, deux candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle en France]. Même chez des gens de gauche, il y avait cette idée sur ce qu’ont apporté les colonies, l’éducation etc., et de nier les choses. Comment parler de l’immigration, des matières premières, des problèmes de développement, sans parler de ça, des traces du passé colonial ? Ce serait une vraie catastrophe si l’on ne pouvait pas avoir cette discussion. Ce serait bien d’avoir en face de soi des gens un peu décomplexés pour en parler, sans avoir de discours du genre « la France, tu l’aimes ou tu la quittes », d’être plus subtil que ça. La discussion pourrait être plus saine, elle ne l’est pas encore mais elle est sur la table.

ANTA GUISSÉ

Anta Guissé est avocate au barreau de Paris (France) depuis 1999. Elle plaide régulièrement devant les juridictions pénales nationales. Entre 2002 et 2010, elle a travaillé au sein de plusieurs équipes de défense devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. En 2012, elle est devenue avocate internationale de l’ancien président Khieu Samphân devant les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens. Depuis 2021, elle représente le Centrafricain Alfred Yekatom devant la Cour pénale internationale. Au Burkina Faso, elle défend la famille de Thomas Sankara dans le procès de ses assassins présumés.

The Brief Podcast – La Révolution de Sankara

La Révolution de Sankara

L'assassinat de Thomas Sankara en octobre 1987 a brusquement mis fin à la vie d'un panafricaniste révolutionnaire qui a transformé le Burkina Faso en quatre années de révolution remarquable. Nous sommes rejoints par AMBER MURREY et AZIZ FALL pour discuter de Thomas Sankara, de son projet politique au Burkina Faso, de son anti-impérialisme à l'étranger et de leur livre A Certain Amount of Madness: The Life, Politics and Legacies of Thomas Sankara.

Épisode 024 La révolution de Sankara
Date: 18 February 2022 | Durée: 73:45
Bonus: Aziz Fall sur le procès Sankara : 17:26

Communiqué 26 janvier 2022

Campagne Internationale Justice pour Sankara

Communiqué 26 janvier 2022

Lundi 24 janvier 2022 devait se tenir les plaidoiries dans le procès Sankara et ses douze compagnons assassinés. Notre collectif d’avocat-es était à pied d’œuvre pour finaliser cet effort qui a débuté il y a un quart de siècle. Un coup d’état est survenu et le président du tribunal a remis les comparutions au lendemain mardi 25 janvier. Il a ensuite expliqué, qu’en raison de raisons majeures indépendantes de sa volonté, la séance était suspendue et qu’il reviendrait vers les parties en temps opportun.

Avec le renversement du régime Compaoré, un nouveau régime politique avait permis l’instruction de l’affaire. Le procès se déroulait devant la Chambre de Première Instance du Tribunal Militaire de Ouagadougou, délocalisée à la salle des Banquets de OUAGA 2000. Suite à l’arrêt N° 06 du 13 avril 2021, plusieurs personnes ont été mises en accusation et si possible entendues: par contumace KAFANDO Hyacinthe pour attentat à la sureté de l'État et assassinat ; par contumace COMPAORE Blaise pour recel de cadavre, attentat à la sureté de l'État, complicité d'assassinat; DIENDERE Gilbert pour complicité d'assassinat, attentat à la sureté de l'Etat, subornation de témoin, recel de cadavre; OUEDRAOGO Nabonswende, SAWAWADOGO Idrissa, ILBOUDO Yamba Elysee, OUEDRAOGO Tibo, BELEMLILGA Albert, Pascal Sibidi, DEME Djakalia, PALM Mori Aldjouma Jean-Pierre, TRAORE Bossobe, pour complicité d'attentat à la sureté de l'Etat; DIEBRE Alidou Jean Christophe, KAFANDO Amado pour faux en écriture publique et TONDE Ninda dit Pascal pour subornation de témoin; TRAORE Bossobe pour complicité d'assassinat ; OUEDRAOGO Nabonswende, SA WA WADOGO Idrissa, ILBOUDO Yamba Elysée, pour assassinat. Des dizaines de témoins ont aussi comparu en présentiel ou à distance et les procès-verbaux des personnes décédées ont été lues.

Le procès dont les autorités ont refusé l’enregistrement s’est déroulé jusque- là dans des conditions acceptables.

La CIJS est préoccupée de la poursuite du procès et escompte des nouvelles autorités qu’elles permettent, dans les meilleures conditions possibles, la sécurité et l’achèvement serein et rigoureux du procès. La CIJS escompte aussi que le juge en charge de la disjonction sur le volet international puisse vaquer normalement à son instruction et boucler son dossier. Tout ceci permettrait de connaitre la vérité tant attendue, d’obtenir justice et d’assurer une saine réconciliation.

Le peuple burkinabé et l’Afrique entière souhaitent tourner la page de l’impunité.

Avez-vous des questions? Appelez-nous ou envoyez-nous un courriel.

+1 (514) 499-3418

info@cijs-icjs.net

donations@cijs-icjs.net

Bulletin

Recevez les dernières nouvelles et mise à jour

Connecte-toi avec nous

fr_FRFrançais